Liste de partage de Grorico
C'est un enregistrement "terrifiant, d'après l'Express, qui se l'est procuré et qui l'a mis en ligne. La réunion où Matthieu Tenenbaum fut convoqué dans le bureau de Christian Husson, directeur juridique de Renault, pour se voir accuser, à tort, d'espionnage, est révélateur de la paranoïa qui a gagné un certain nombre de responsables, tant publics que privés, ces dernières années.
On avait déjà eu un bon exemple de cette paranoïa avec l'enregistrement, lui aussi mis en ligne par L'Express, d'une autre réunion où trois responsables de Renault demandaient instamment à celui qui avait accusé les trois cadres d'espionnage de bien vouloir leur fournir les preuves de ses accusations, qui se sont avérées inexistantes.
Entre temps, les trois cadres avaient été virés, et jetés à la vindicte médiatique. Pour mieux comprendre la brutalité et le cynisme de ceux qui, ainsi, versent dans la paranoïa, rien ne vaut l'écoute intégrale de cette conversation, avec un responsable tout sourire, qui demande de façon insistante à son subordonné de reconnaître sa culpabilité :
Cela fait plus de 10 ans maintenant que je m'intéresse à la montée en puissance de la société de surveillance. Ce pour quoi LeMonde.fr m'a demandé de créer ce blog, suite au scandale du fichier Edvige. Et depuis 10 ans, on me taquine de temps en temps, en mode : "bon, mais tu es un peu parano, non ?", quand bien même, précisément, ce que je constate, c'est bien la paranoïa qui gagne nos dirigeants, qui multiplient à l'envi technologies et politiques sécuritaires, de surveillance et de contrôle.
Les terroristes n'ont même plus besoin de tuer pour terroriser les gens : on a ainsi vu nombre des gouvernements occidentaux généraliser les scanners corporels dans les aéroports, alors même que le terroriste au slip n'avait même pas réussi à faire exploser sa bombe, et que plusieurs experts en sécurité savent que cela ne servira à rien, sinon à compliquer la vie des honnêtes gens, et gonfler le chiffre d'affaires des vendeurs de scanners (voir Scanners : terrorisme, sexe et démagogie)...
Aucune étude n'a réussi à démontrer l'efficacité de la vidéosurveillance, bien au contraire (voir L’impact de la vidéosurveillance est de l’ordre de 1%, A Boulogne Billancourt, la vidéosurveillance ne sert… à rien, ou encore Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance), ce qui n'empêche pas le gouvernement de vouloir multiplier par trois le nombre de caméras.
Quand l’absence de “mobile” rend suspect
Apportez-moi deux lignes du plus honnête homme et j'y découvrirai de quoi le faire pendre.
Louis-Benoît Picard, inspiré de cette citation attribuée au Cardinal de Richelieu :
“Avec deux lignes d’écriture d’un homme, on peut faire le procès du plus innocent“.
Les cadres de Renault ne sont pas les premiers à être ainsi accusés, non parce qu'ils avaient commis un crime, ou un délit, mais parce qu'ils étaient placés sous surveillance, et que de même qu'"il n'y a pas de fumée sans feu", quand on veut trouver des preuves, on en trouve, ou on en fabrique.
On a bien vu des parents être accusés de pédophilie, et se voir retirer la garde de leurs enfants, parce que se trouvaient, dans leur appareil photographique, des photos de leurs enfants... nus (voir Vos photos sont-elles pédo-pornographiques ?).
En 2008, j'avais ainsi rencontré la femme d'un "terroriste". Anne Roth est journaliste. Son mari, Andrej Holm, un sociologue, a été arrêté l’an passé en Allemagne, accusé de participation à une organisation terroriste :
Les policiers n’avaient aucune preuve. Mais après les avoir placé sous surveillance, pendant un an, ils estimèrent avoir réuni suffisamment d’éléments indiquant des “intentions conspirationnistes” : Andrej Holm avait en effet effectué des requêtes sur des moteurs de recherche, et écrit des textes comportant certains “mots-clefs” suspicieux.
Il avait également accès, “en tant que collaborateur d’un institut de recherche, à des bibliothèques qu’il (pouvait) utiliser en toute discrétion pour mener les recherches nécessaires à la rédaction des textes” du groupe terroriste recherché… et son bagage intellectuel et ses réseaux militants laissaient supposer qu’il pouvait en être l’auteur.
De plus, son email n’était pas de la forme prenom.nom@, et il lui arrivait de ne pas préciser (au téléphone) la raison pour laquelle il donnait rendez-vous à ses amis. Pire : il lui arrivait aussi de ne pas prendre son téléphone portable avec lui. C’est donc qu’il avait des choses à se reprocher.
Lui et sa femme (plus leurs deux enfants) ont ainsi été placés sous surveillance pendant un an. Anne Roth explique ainsi comment elle a découvert que, pendant un an, tous leurs appels téléphoniques, leurs déplacements, leurs relations ont été scrutés analysés, à la recherche de preuves pouvant permettre de confondre Andrej Holm.
Depuis Julien Coupat, et ses comparses de ladite Cellule Invisible, ont été arrêtés, et accusés, eux aussi, de participation à une organisation terroriste parce que, et notamment, ils n'utilisaient pas de téléphone portable, ce qui pouvait laisser présumer qu'ils avaient des choses à cacher...
Le Monde souligna que les "neuf de tarnac fuient le travail salarié, rejettent le système capitaliste et l'hyperconsommation. Sans concessions, ils bannissent les téléphones portables. Par refus de la sujétion, plaident-ils. Par souci de clandestinité, pense la police".
Leur dossier judiciaire, publié par Mediapart, précise que "ces individus s’avéraient très méfiants, utilisant différents véhicules, ne possédant aucun téléphone portable et prenant de multiples précautions lors de leurs communications téléphoniques, n’hésitant pas à interrompre leur interlocuteur quand un sujet important était évoqué".
Le Parisien nota de son côté que Julien Coupat était en effet "suivi quotidiennement par une équipe de l'antiterrorisme. Il ne possède pas de portable et change souvent de véhicule. Ce jeune homme de 34 ans, au casier judiciaire vierge, participe régulièrement à des manifestations, contre le fichier Edvige ou des rassemblements contre le transport des déchets nucléaires".
Vous n'avez rien à cacher ? Vous êtes sûrs ? Vraiment ?
En 2001, nous étions quelques-uns à dénoncer la présomption de culpabilité que les parlementaires, surfant sur les attentats du 11 septembre, mettaient en oeuvre avec leur Loi sur la Sécurité Quotidienne (LSQ), qui a servi de base aux 42 lois sécuritaires adoptées depuis lors.
En l'an 2000, le fait de ne pas avoir de téléphone portable ne pouvait décemment poser aucun problème. Aujourd'hui, cela paraît suspect... ce qui vaut notamment à la France de figurer parmi les pires nations d’Europe en matière de libertés individuelles, et d'avoir été cette année placée "sous surveillance" par RSF...
La revue Ravages m'avait interviewé, il y a quelques mois, avec mes comparses des Big Brother Awards. L'interview vient d'être publiée, dans un n° spécial consacré à la Neuropolice (voir "Comment résister à la surveillance générale").
J'y expliquais précisément que le problème de la société de surveillance, dans nos démocraties, ce n'est pas Orwell, mais Kafka, une thèse développée par le professeur de droit Daniel Solove, dans un article intitulé “Je n’ai rien à cacher”, et autres malentendus au sujet de la vie privée (en), que j'avais déjà eu l'occasion d'évoquer (voir Et si on vidéosurveillait les chambres à coucher ?) dans la foulée de l'article d'Hubert Guillaud sur la valeur sociale de la vie privée :
“Le danger n’est pas la surveillance généralisée, mais l’absurde d’une société oppressive (...) la destruction de la confiance sociale et de ce fait, une inhibition généralisée : on n’ose plus inventer, plaisanter, transgresser, essayer, critiquer… de peur que quelqu’un qu’on ne connaît pas puisse un jour en venir à nous le reprocher, pour des raisons mystérieuses."
Pour seule défense, le cadre de Renault accusé à tort propose à son supérieur de fouiller dans son ordinateur, parce qu'"il n'a rien à cacher"... Mais ce n'est plus le problème. Ce n'est plus parce que l'on a rien à cacher que rien ne vous sera reproché... (voir aussi ma Lettre ouverte à ceux qui n’ont rien à cacher). Occasion de republier ces quelques extraits de l'interview que j'avais accordé à Ravages, mais également de vous inciter à l'acheter, au vu de la qualité de son sommaire.
De Orwell à Kafka
Vivons-nous dans une dictature soft ?
Jean-Marc Manach : Le vrai danger, aujourd’hui, ce n’est pas la vision d’Orwell, mais celle de Kafka. Parce qu’il y a tellement de technologies de surveillance et de fichiers automatisés, de robots qui recourent à des bases de données pour t’autoriser à faire ceci ou cela, qu’il est facile, en France, de nos jours, de se retrouver dans la situation du Procès où c’est à l’innocent de démontrer son innocence.
Récemment encore, des Français ont été arrêtés parce que leur plaque d’immatriculation correspondait au fichier des voitures volées en Italie : il n’y avait pas de tiret dans le fichier, alors que sur leur plaque il y en avait un… Pour cette raison, ils ont été arrêtés, gardés à vue, menottés devant leurs enfants. C’est une faille terrible dans une démocratie. Tu as d’un côté celui qui a le pouvoir, qui contrôle le fichier, les caméras et qui dispose du droit de te considérer comme un coupable… Et puis tu as celui qui est surveillé et qui n’a que le pouvoir de tenter de démontrer son innocence.
Ce système est-il remis en cause, par d’autres que vous ?
Jean-Marc Manach : Je vais répondre par un exemple : souvenons-nous de l’affaire du fichier Edvige, il y a deux ans. C’était un projet de fichier qui a scandalisé nombre de citoyens, parce qu’il se proposait de ficher les individus en précisant leurs orientations politiques, sexuelles, leur éventuelle qualité de syndicaliste ou de militant. Quelque chose d’absolument effrayant. Dans la foulée, une mission parlementaire a été mandatée, sous la direction d’une députée PS, Delphine Bathot, et d’un député UMP, Jacques-Alain Bénisti (par ailleurs primé aux BBA 2005).
À l’issue d’un remarquable travail d’enquête et de multiples auditions, la conclusion qu’ils en ont tiré est que les fichiers policiers constituent un véritable problème : on en comptait à l'époque 56 (près de 60 à ce jour, NDLR), donc le quart sont hors-la-loi. Ils en tirent un rapport constitué d’une cinquantaine de propositions. Un projet de loi en découle, voté à l’unanimité par la commission des lois, le tout arrive sur le bureau du ministère de l’Intérieur, pour finir à la poubelle. Et aucun média, ou presque, n’en a alors parlé.
Mais le plus grave, c’est quand on a vu Nathalie Kosciusko-Morizet lancer un débat sur le droit à l’oubli : le débat s’est focalisé sur Facebook et ceux qui perdent leur travail à cause de Facebook, et a fait l’impasse sur la question des fichiers policiers ! C’est de la pure novlangue -rappelons que dans le livre d’Orwell le contrôle de la population se fait au moyen du langage, par l’invention d’une nouvelle langue appauvrie en vocabulaire, censée rendre impossible l’expression, et même la pensée de certains concepts, comme celui de liberté.
Ici, on part d’une question sur les fichiers policiers, et on lui en substitue une autre. Pourquoi est-ce que le débat sur le droit à l’oubli porterait uniquement sur Facebook alors que c’est un épiphénomène pour ce qui concerne le marché du travail, tandis que les fichiers policiers comme le STIC, le Système de Traitement des Infractions Constatées ou Judex, celui de la gendarmerie, concernent infiniment plus la population, de l’aveu même des parlementaires ?
Chaque année, des centaines voire des milliers de gens se voient refuser un travail parce qu’ils sont fichés dans le STIC. Le problème, c’est que le STIC, qui recense trente millions de personnes, mêle allègrement coupables, suspects, témoins et victimes.
Ce qui est grave, c’est que l’article 1 de la loi informatique et liberté stipule que l’informatique doit être au service des êtres humains et qu’un logiciel ne doit pas prendre de décision, un système d’information peut y aider mais ne doit jamais prendre des décisions de façon autonome… Or ce n’est pas le cas aujourd’hui : les radars, le flicage informatique au Pôle Emploi, l’inscription dans le STIC… S’il faut un an à la CNIL pour vérifier si tu figures dans le Stic, et une semaine pour y répondre quand tu postules pour un emploi de vigile ou de bagagiste à Roissy, c’est bien que, concrètement, c’est l’ordinateur qui prend la décision de t’exclure d’un certain marché du travail.
Que faire, alors ?
Jean-Marc Manach : Démontrer (et démonter) les failles du système. Hacker la société de surveillance, en saturant par exemple les réseaux de fausses informations. S’informer. Mais, surtout, renverser la charge de la preuve.
Il y a un moyen de résumer cela : dans les années 1960, si tu étais une femme, et que tu avais un décolleté ou une mini-jupe, c’était une circonstance atténuante en cas de viol pour le violeur, et il a fallu un basculement des mentalités pour que ce ne soit plus considéré comme tel.
Le problème, c’est le violeur, le voyeur, le mec qui surveille. Ce n’est pas moi. On ne peut rien me reprocher a priori, on est en démocratie donc pourquoi tu veux me surveiller ? Pourquoi tu veux me mettre dans ton fichier ? C’est quoi ton problème ? Soupçonner que tout le monde cache quelque chose, n’est-ce pas la vraie définition de la paranoïa ? Voilà le basculement qu’il faut opérer.
Si on a pu faire la révolution sexuelle, on doit pouvoir faire la révolution "sociale", non ? C’est une illusion, une folie, qui nous gouvernent encore et qui menace le fondement de notre démocratie, non seulement la liberté, mais aussi l’égalité entre tous les citoyens. Car évidemment, quand tout le monde aura un policier derrière son dos, ce ne sera pas tout le monde, en réalité : ce seront les pauvres, les artistes, les honnêtes citoyens, les marginaux, les étrangers… Bref, tout le monde, sauf les mafias, ou les dominants, qui auront les moyens d’échapper au monde kafkaïen qu’on nous dessine par simple volonté de puissance, volonté d’enrichissement, et désir de pouvoir.
Voir aussi, et dans le même genre :
Journalistes : protégez vos sources !
Frenchelon: la DGSE est en “1ère division”
Pour en finir avec la “vie privée” sur Facebook
Safari et la (nouvelle) chasse aux Français
82% des organismes ne respectent pas la loi informatique et libertés
auteur de "La vie privée, un problème de vieux cons ?"
Découverte via un tweet de Fred Cavazza, celui qu'on ne présente, cette vidéo a tout pour faire le buzz. Réalisée par les allemands Thomas Becker et Sebastian Stahlhofen sous le nom A normal day, elle se place à contre-courant des nombreux fakes que l'on voit tous les jours. Ne cherchez pas non plus une opération de communication déguisée sous une vidéo virale, ce n'est pas le cas. Ces deux artistes de la gâchette mettent un point d'honneur à réaliser tous leurs tours de passe-passe sans trucage mais avec beaucoup de patience... Un retour aux sources en quelques sortes, du vrai User Generated Content qui ne défend pas une cause commerciale. Ce best-of propose une vision complète de leurs activités, à savoir mettre en scène les petite victoires du quotidien. On essaie tous à un moment de jeter sa boulette de papier dans le poubelle du bureau en faisant 3 rebonds, de lancer ses clés sur le porte-clé ou encore de jongler avec un objet pour le remettre à sa place. Le concept est ici poussé à son paroxysme, avec des tricks assez incroyables. 2 minutes de haut niveau... A voir absolument ! Et préparez-vous à la voir tourner beaucoup.
Le site A normal day

La photo d’une jeune fille tuée lors du tremblement de terre en Haïti l’année dernière suscite le débat en Suède.
La polémique est d’autant plus vive que le cliché en question, ramené par le photographe Paul Hansen, a été primé par l’Oscar de la meilleure photo de l’année en Suède.
La photo de Paul Hansen, prise quelques instants après les faits, montre la jeune fille, 15 ans, juste après qu’elle ait été tuée de 3 balles dans la tête. “Pour moi, la mort de Fabienne et son histoire sont de puissants témoins des besoins minimaux de sécurité, avec ou sans le désastre“, témoignait en mars 2010 le photographe.
La polémique naît après la publication d’une autre photo, prise par un autre témoin sur place, le photographe Nathan Weber, qui monte la même réalité, vue d’un autre angle. Si les deux photographes ne se sont pas exprimés directement sur le sujet, les débats s’enflamment autour du métier de photojournaliste.
Parmi les autres photographes qui ont saisi cet instant de la mort de Fabienne Cherisma, d’autres ont reçu des récompenses dans leur pays, à l’instar de James Oatway, de Olivier Laban-Mattei, qui a reçu le Grand Prix Paris Match 2010, ou encore de , récompensé pour son reportage en Haïti.
La photo de James Oatway
La photo et l’histoire de Fabienne Cherisma ont fait le tour du monde pendant les jours qui ont suivi le tremblement de terre en Haïti. A lire notamment cet article sur le site du Guardian http://www.guardian.co.uk/world/2010/jan/26/haiti-earthquake-shooting-girl-story.
Une page Facebook “Fans of Fabienne Cherisma” lui est même dédiée.

Lorsque nous avons inauguré la page « Courrier », nous imaginions que les lecteurs de XXI réagiraient aux récits que nous leur proposerions à la manière des fidèles des revues américaines, The New Yorker, The Atlantic Monthly ou Harper's. Ces titres prestigieux, installés de longue date et qui accordent depuis toujours une large place au grand reportage, consacrent en effet plusieurs pages, en tête de chaque numéro, à la controverse et aux précisions des lecteurs. Sur n'importe quel sujet, il se trouve toujours un ingénieur du Minnesota, une traductrice d'Honolulu ou un expatrié de Bangkok pour apporter son grain de sel, son savoir sur les sujets les plus techniques ou son point de vue, particulièrement argumenté.
Au bout de quelques jours de présence en librairie, nous avons été submergés par un courrier du cœur, qui nous a surpris par son ampleur et ses infinies variations. Comment nier notre émotion ? Votre adhésion était à la fois si inattendue et si espérée ! Nous pensions que ce flux allait se tarir une fois l'effervescence du lancement passée. Nous avions tort.
Vos déclarations étaient si nombreuses qu'elles ont fini par nous embarrasser. XXI se construit dans l'artisanat et, certains jours, sur le fil du rasoir. Nous savons que votre revue n'est pas parfaite, que nous pouvons toujours faire mieux. Notre gêne a été accrue par le soupçon de ne publier que les éloges. Quelques libraires ronchons, des confrères moqueurs et même des lecteurs sourcilleux, n'en croyaient pas leurs yeux.
Alors nous avons lancé la chasse à la critique. Lorsqu'un spécimen arrivait, il faisait aussitôt le tour des boîtes e-mail, ce nouveau nom du téléphone arabe. Il nous était transféré avec des commentaires vengeurs : « Enfin ! », « Et toc ! ». La vie en entreprise développe, on le sait, l'esprit taquin.
A chaque fois, nous avons publié en bonne place ces courriers courroucés ou agressifs. Régulièrement, nous avons lancé plusieurs appels publics à ceux d'entre vous qui pourraient nous éclairer de leur expérience ou de leur science d'un numéro à l'autre, pour prolonger les récits. Mais rien n'y a fait. Vous avez continué à écrire avec le cœur.
Vos déclarations arrivent chaque jour. Comme la marée, il y a des amplitudes modérées et des marées d'équinoxe. Ce trimestre, elles sont si nombreuses et si étonnantes, que nous en publions quatre pages. « Après ça, il vous sera difficile de vous plaindre ! » Effectivement.
A la réflexion, il nous semble que ces courriers ne s'adressent pas à nous. A travers votre adhésion à ce titre, votre histoire avec XXI, les liens que vous tissez avec les auteurs, les libraires, les autres lecteurs de cette revue, vous nous parlez avant tout de ce que vous êtes et de ce qui vous anime, de votre regard et de votre idéal.
En vous lisant, il nous est revenu en mémoire un éditorial d'Albert Camus, en une du quotidien Combat, le 31 août 1944 : « La tâche de chacun de nous est de bien penser ce qu'il se propose de dire, de modeler peu à peu l'esprit du journal qui est le sien, d'écrire attentivement et de ne jamais perdre cette immense nécessité où nous sommes de redonner à un pays sa voix profonde. Si nous faisons que cette voix demeure celle de l'énergie plutôt que celle de la haine, de la fière objectivité et non de la rhétorique, de l'humanité plutôt que de la médiocrité, alors beaucoup de choses seront sauvées et nous n'aurons pas démérité. » L'éditorial était titré « Critique de la nouvelle presse ».
Redonner la voix profonde des lecteurs, respecter leur souci d'énergie, d'objectivité et d'humanité. Ces mots résonnent avec les vôtres. Nous les faisons ceux de XXI.
Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry